mardi 28 juillet 2015

Du manque affectif à la maltraitance psychologique

Généralement, quand on parle de maltraitance à l'endroit des chiens, on fait souvent référence à des moyens coercitifs et/ou aversifs physiques. Le prendre par la peau du cou, le frapper, le contraindre à se coucher sur le dos ou encore l'usage de collier étrangleur ou électrique en sont quelques exemples.
Il existe pourtant une autre forme de maltraitance, beaucoup moins abordée et d'ordre psychologique. Les effets en sont moins visibles et de ce fait, moins spectaculaires. Pour autant, les conséquences sur le développement du chien et sur son homéostasie peuvent être dramatiques.

Chien malheureux
source : http://www.infoveto.com

Pourquoi choisissons-nous d'avoir un chien ?

La réponse est assez simple finalement. Dans la très grande majorité des cas, nous prenons un chien par manque affectif. Nous attendons du chien qu'il nous procure du plaisir, de la complicité, de la tendresse, des émotions, une absence de jugement, de la fidélité, du réconfort... autant de choses qui sont du registre de l'affect.
Jusque là, ça n'est ni bien ni mal, c'est juste un fait.
Là où ça peut devenir problématique, c'est quand ce manque affectif se traduit par des considérations anthropomorphiques (mon chien est comme mon enfant), par la sur-protection et par l'entretien voire l'encouragement d'une sur-dépendance affective.
On aime que nos chiens nous soient attachés, qu'ils soient dépendants de nous et qu'ils ne voient que par nous.

C'est encore plus flagrant quand j'explique aux futurs propriétaires de chien qu'il faudra respecter le développement naturel du chiot en lui apprenant le détachement. Pour bon nombre de personnes, il est impensable de prendre un chien pour lui apprendre à être détaché d'eux. C'est exactement l'inverse qu'ils attendent d'un chien.
Ce qu'ils ignorent (délibérément pour certains) c'est que ce détachement participe à construire la psychologie du chiot pour qu'il devienne un adulte équilibré.

Ne pas respecter cet apprentissage naturel du détachement a plusieurs conséquences psychologiques et comportementales. Cela participe à infantiliser le chien. En ne permettant pas à son chien d'acquérir une certaine indépendance voire même à le maintenir dans une sur-dépendance affective, on maintient le chien à l'état psychologique de chiot. De ce fait, le chien est beaucoup plus facilement en proie à l'anxiété, le stress, la peur, les troubles hyper (attachement, sensibilité, excitation, activité), l'agressivité, et j'en passe. Le chien continue de réagir comme un chiot parce qu'on ne lui a pas permis de faire autrement.
Autrement dit, en sur-protégeant nos chiens et en maintenant une forte dépendance affective, on les fragilise psychologiquement... on les maltraite même.

Cela est encore plus vrai pour les chiens de petites races qui souffrent (bien malgré eux) d'avoir en plus l'apparence d'un chiot, même arrivés à l'âge adulte. Le processus d'infantilisation, même si inconscient, en est facilité.

Du manque affectif à l'amensalisme

Ce type de rapport entre l'humain et le chien est une forme d'amensalisme. C'est à dire que deux espèces différentes cohabitent mais que l'une a un effet négatif sur le bien-être, le comportement ou encore le développement de l'autre. On veut tellement que le chien corresponde à l'idée qu'on se fait de lui que dans bien des cas on ne lui permet pas d'être ce qu'il est vraiment.
Là encore on le maltraite ; on le trahit même. On trahit sa nature de chien et ses réels besoins parce qu'on se soucie davantage de ce qu'il doit nous apporter pour combler notre manque affectif plutôt que de ce qu'il faut faire pour lui pour qu'il se sente bien et qu'il soit équilibré.

Pourquoi apprendre le détachement à son chien ?

Apprendre le détachement à un chien ce n'est pas éviter de l'aimer, l'ignorer ou de ne rien lui permettre. Le chien reste un animal social et dépendant. Il a donc besoin de l'autre.
Le détachement c'est l'apprentissage de la mesure en évitant les excès.

Il y a une marge entre :
- faire dormir un chien auprès de soi / le faire dormir à l'autre bout du jardin attaché à un poteau
- permettre à un chien de nous suivre partout / ne jamais lui permettre de nous suivre
- lui prodiguer de l'attention et des caresses en permanence / l'ignorer la plupart du temps

Ces quelques exemples de relations extrêmes sont autant nuisibles dans un sens que dans l'autre.
D'un côté on favorise la dépendance affective, de l'autre côté, on casse le lien d'attachement.
Le mot "équilibré"» prend alors tout son sens dans ce à quoi doit conduire le détachement.

L'amour que l'on porte à un chien peut-il aller jusqu'à la maltraitance ?

De manière inconsciente et dans bien des cas, oui. On peut aimer le plus sincèrement du monde un chien sans se rendre forcément compte que cet amour conduit à l'amensalisme ; à ce qui est nuisible pour un individu dans une relation interspécifique.

Certains propriétaires prennent peur dès que leur chien en croise un autre.
Un des réflexes de ces personnes est alors de prendre le chien dans les bras et de s'éloigner.
C'est un exemple de sur-protection qui est nuisible au chien. On pense bien faire et on fait mal car on empêche le chien de pouvoir naturellement interagir avec ses congénères ; ce qui l'empêche par la même occasion d'apprendre à gérer ces situations.
On aime son chien, on ne veut pas qu'il lui arrive quoi que ce soit de malheureux, c'est parfaitement naturel. Ce faisant, on l'étouffe et on le fragilise aussi.

D'autres sont incapables de refuser quoi que ce soit à leur chien.
Là encore, ils pensent sûrement bien faire et que cette attitude apportera du bien-être au chien. C'est exactement l'inverse en fait. Un chien qui n'est jamais contrarié dans ses tentatives d'appropriation de ressources affectives, alimentaires ou de confort aura tendance à très mal gérer la solitude, à s'engraisser et à devenir agressif dès qu'il sera obligé de partager ou d'abandonner sa ressource.
Ce n'est bien évidemment pas une obligation, c'est "juste" une probabilité beaucoup plus importante. Rien de tout cela ne peut participer à son bien-être.

Qui du chien ou de la relation est le vrai "malade" ?

Quand on me rapporte des soi-disant problèmes comportementaux chez le chien (aboiements fréquents, malpropreté, destruction, agressivité, …), dans la très grande majorité des cas le chien ne souffre d'aucun réel problème comportemental. Il ne fait que réagir en chien pour exprimer un mal-être.
L'approche systémique permet alors de comprendre à quel point les composantes relationnelles et environnementales peuvent influer sur le comportement du chien. Le "malade" n'est pas forcément le chien mais plutôt la relation entre l'homme et le chien.
Le dressage - d'autres préféreront éducation - n'est d'aucun secours dans ce genre de cas. Pas plus que de concevoir ses rapports avec le chien sous l'unique prisme des conditionnements opérants. Et je ne parle même pas des moyens coercitifs comme les colliers étrangleurs, électriques et anti-aboiement qui ne règlent aucun problème en ne faisant qu'agir sur la conséquence.
En ayant recours à ce genre de procédés, le propriétaire du chien ne reconnaît aucune responsabilité personnelle et n'opère aucune remise en question. Le chien paye donc le prix fort des manquements de son être d'attachement.

Il existe bien des moyens de maltraiter physiquement et psychologiquement le chien.
Autant il m'est agréable de constater qu'une majorité de personnes est révulsée à l'idée de maltraiter physiquement le chien, autant il m'est très désagréable de voir que si peu se préoccupent de savoir ou d'admettre qu'ils peuvent maltraiter psychologiquement le même chien.
Si j'étais cynique, je dirais que c'est tant mieux, cela me fait du boulot. Il se trouve juste que je préférerais être consulté pour prévenir plutôt que pour guérir.

C'est aussi le but de cet article...

4 commentaires:

  1. Bonjour,
    Pourriez-vous donner quelques exemples à mettre en pratique pour lui apprendre ce détachement ?
    Et merci pour ce blog très instructifs.

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  2. Bonjour Stéphane,

    Le détachement passe par plusieurs comportements à adopter dès que le chien est encore chiot.
    - ne pas répondre à toutes ses exigences d'attention et à ses sollicitations
    - ne pas lui permettre de dormir avec ou auprès de vous
    - ne pas hésiter à carrément le repousser par moment (pas brutalement non plus)
    - ne pas le caresser en permanence
    - ne pas le sur-protéger
    - ne pas chercher à la rassurer s'il se met à couiner d'anxiété
    - ne pas lui céder toutes les ressources qu'il veut (de confort, affectives, alimentaires, ludiques)

    Votre rôle en tant que propriétaire de chien est de le guider pour devenir adulte et plus autonome, pas de l'infantiliser.

    En espérant avoir pu vous aider.

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  3. Bonjour,
    J'ai adopté une petite chienne de 5 ans dans un refuge qui a un gros problème de détachement (elle aboie en permanence quand on est pas là). Comment faire pour la calmer ?

    De plus, dans la rue, elle a peur des autres chiens, elle grogne et claque des dents. Je pars du principe que les chiens doivent se débrouiller entre eux, mais ça va faire un an qu'on l'a et il n'y a aucun progrès, à part que maintenant, au lieu de juste se cacher derrière moi elle part en courant... Je ne sais pas comment la rassurer..?

    Merci,

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  4. Vous nous rappelez que les excès sont mauvais.
    Personnellement ma vie sociale se fait quasiment avec mes compagnons a 4 pattes (chien & chats), Les animaux non-humains se trouvant chez moi dorment avec moi (de leurs propre-chef) donc cela fait-il partit des "maltraitance psychologique" ?
    Je tiens a faire une remarque sur votre article : Les gens décident d'avoir un chien pas seulement par manque affectif, mais aussi pour garder un territoire. je m'explique, mon voisin a un chien seulement pour garder son jardin (heureusement il le sort tous les jours) mais d'autres voisins (plus éloignés) en ont dans leurs jardins et s'en occupent comme ils s'occuperaient d'une caméra de vidéosurveillance.

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